n°13

Description

Date de publication: 2008
Éditorial
Karim Basbous
Fermer X

En ce début de siècle où le projet se résume souvent à l’expression littérale d’un « concept » qui se suffit d’une simple image, nous avons choisi de présenter l’œuvre de José Cruz Ovalle, pour qui l’architecture est une étendue que l’on découvre patiemment, et non un produit qui se consomme.

L’université Adolfo Ibañez, ce faisceau de membres allongés au pied de la cordillère des Andes, a l’élégance de ne livrer au premier abord qu’une invitation à parcourir le dédale de ses galeries. José Cruz Ovalle, comme Louis Kahn, commence un projet en recherchant la nature intime du programme, avant de tracer la première ligne. Kahn voyait l’Assemblée de Dacca comme une « société de pièces » réunies par une géométrie égalitaire, Cruz voit l’université comme une communauté d’espaces dont la distribution même représente la liberté d’apprendre, de choisir et de faire circuler les savoirs. Pour lui, la raison de l’université ne réside pas tant dans les salles, que dans la manière de se mouvoir. Le projet a donc pris forme par un écheveau de circulations, dont la sinuosité fait ralentir le pas et multiplie les points de vue. Pour Ovalle, il ne saurait y avoir une hiérarchie dans les moments de la perception architecturale : entrevoir a autant d’importance que voir, hésiter est aussi essentiel qu’agir. La courbure des espaces œuvre à la continuité d’un mouvement orbital, sans fin, où l’on ne fait qu’ « aller vers », sans jamais retourner sur ses pas. Le thème cardinal du plan libre est ici renouvelé : le plan travaille à démultiplier les itinéraires possibles pour se rendre d’un point à un autre. L’abondance des parcours est aussi celle des périphéries, le long desquelles le mouvement s’évase, mais sans jamais avoir l’impression de s’éloigner : une architecture qui diverge et se déploie dans toutes les directions, se replie par endroits pour encadrer des espaces confinés, sous des morceaux de « ciels coincés » – à l’image des toiles de Cézanne – entre l’horizon montagneux et la protection ombreuse des porte-à-faux[1].

José Cruz Ovalle lui-même présente l’université Adolfo Ibañez, et Iñaki Ábalos analyse l’émotion que lui a procurée la visite de ce lieu. Alejandro Gabriel Crispiani et Fernando Pérez Oyarzun mettent en perspective l’œuvre globale de l’architecte sur les plans historique, géographique, et dans son rapport à l’art.

Nous poursuivons dans ce numéro du Visiteur la publication des actes du colloque international « Le projet en questions », qui s’est tenu les 14 et 15 mars 2008 à la Société française des architectes en collaboration avec le CNRS.

Si l’inventivité de Le Corbusier l’a conduit, à chaque projet, là où nul ne pouvait l’attendre, c’est peut-être parce qu’il est entré clandestinement dans le cercle des bâtisseurs. Laurent Salomon et Judith Rotbart explorent les méthodes implicites que s’est forgées ce peintre immigré dans l’architecture, et Arnoldo Rivkin relève dans les derniers projets du maître des intuitions projectuelles restées peu explorées, si ce n’est par quelques démarches contemporaines. Franco Purini dénonce avec force le discrédit que la société contemporaine jette sur le projet architectural. Rémi Rouyer élève le matériau au rang d’une donnée première transformée par l’imaginaire technique et une économie de la mise en œuvre qui fondent une nouvelle manière de projeter. La maison du Projet annonçant le centre Pompidou de Metz a fait réagir Benoît Goetz sur une question fondamentale : comment situer le moment et le lieu de l’architecture ? Résident-ils dans la pensée initiale du concepteur, dans le rendu qui l’expose au client, dans l’opération du chantier qui lui donne corps, ou dans l’espace habité qui en est la finalité ?

Il y a une vie des idées qui oscille entre les disciplines, une affinité des intuitions qui échappe au fil chronologique de l’histoire, et qui relie les aspirations de Louis Kahn, Joseph Albers, Wilhelm Worringer, Livio Vacchini, Auguste Choisy et André Ravéreau. La généalogie que retrace Joseph Abram analyse deux lignées modernes inspirées par deux aspects distincts de l’ancienne Égypte : la surface comme puissance d’abstraction, et les rites constructifs comme savoir-faire.

Enfin, nous retranscrivons ici la conférence que Mike Davis a tenue à la Société française des architectes le 6 juin 2008, sur le destin de la ville, ce lieu où se concentrent les conflits de toutes natures, mais aussi où se joue, à l’issue d’une convergence des catastrophes, la survie écologique et morale de la société. L’actualité donne une saveur toute particulière au débat qui l’oppose à Rem Koolhaas ; au lecteur de juger si les faits récents n’ont pas déjà tranché.

[1] Éloge du vide architectonique, conférence de José Cruz Ovalle à la Société française des architectes, Paris, le 9 novembre 2007.


Une journée à Peñalolén
Iñaki Ábalos
En savoir +
Hériter de l’avant-garde, ou l’empreinte de la forme
Alejandro Gabriel Crispiani
En savoir +
Quatre coordonnées simultanées
José Cruz Ovalle
En savoir +
L’université Adolfo Ibáñez

Campus de Peñalolén, Santiago du Chili, 2002

José Cruz Ovalle
En savoir +
José Cruz Ovalle, architecte : approche d’une situation
Fernando Pérez Oyarzun
En savoir +
« N’être qu’un peintre égaré dans l’architecture »
Judith Rotbart et Laurent Salomon
En savoir +
L’invention inactuelle
Arnoldo Rivkin
En savoir +
Architecture et politique
Franco Purini
En savoir +
Le pixel et le surplus

Les figures de transposition du projet

Rémi Rouyer
En savoir +
La maison du Projet
Benoît Goetz
En savoir +
La terre et la pierre

La référence à l’Égypte ancienne dans le rationalisme architectural du XXe siècle

Joseph Abram
En savoir +
Qui bâtira l’Arche ?

L’architecture à l’heure de la convergence des catastrophes

Mike Davis
En savoir +